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visite aux champs de bataille

à travers la ville dévastée, aux restes du grand pont que nous avons détruit (beaucoup de cadavres français et allemands ont été trouvés dans la Marne), à l’hôtel de ville, à l’église où les Allemands avaient entreposé le mobilier qu’ils avaient pillé et commencé à évacuer. Il y a là des amas de chaises, de lits, de matelas, d’objets de cuivre, qu’ils n’ont pas eu le temps d’emporter. Je vais voir les habitants restés dans la ville et les réfugiés des villages voisins. Pauvres faces résignées de vieilles et de vieux. Malheureuses gens qui demandent tous s’ils peuvent retourner bientôt dans leurs villages. Je repars ensuite en auto avec le général Dégoutte pour Torcy, Courchamp, Priez et Neuilly-Saint-Pierre, libérés le 18 et le 19 juillet derniers.

Le champ de bataille est criblé de trous de « marmites », couvert d’arbres renversés, de cadavres qu’on enterre. Les villages sont tous en ruines. C’est un spectacle lamentable. Mais des champs de blé, d’orge et d’avoine sont intacts. Le général Dégoutte trouve que ses troupes sont maintenant trop en avant et trop engagées dans la lutte pour faire la moisson et la récolte. Il voudrait qu’on fît venir des habitants, car tous ont été évacués.

Au retour, j’écris à Lebrun pour l’en prévenir. Le général Dégoutte est toujours très satisfait des Américains. Deux réserves seulement : ils ne prennent pas assez de précautions et ils se font trop tuer. Ils sont très ardents, mais se fatiguent plus vite que nos troupes. Nos soldats font preuve d’une résistance extraordinaire. Mais ils sont engagés depuis le 15 juillet et finissent eux-mêmes par être fatigués. Dégoutte n’a malheureusement aucune réserve pour les relever.

« J’ai cru hier, me dit-il, que j’allais pouvoir faire passer ma cavalerie. Cela craquait. Nous étions