Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 10, 1933.djvu/332

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par Château-Thierry, Épernay, Châlons. Le matin, à sept heures, j’arrive en pleine Argonne, sur le chemin de fer de Sainte-Menehould à Revigny. Là, attendu par le général de Castelnau et le général Hirschauer, je me rends avec eux en auto par Passavant à Futeau. La forêt de l’Argonne est magnifique de verdure. Le canon se tait. Le pays a presque repris son aspect des jours de paix. Mais, de temps en temps, apparaissent des uniformes bleus de Français et des uniformes gris ou verdâtres italiens. Le général de Castelnau trouve que les Américains ont beaucoup trop parlé de leur projet d’offensive au sud de Saint-Mihiel. Pershing comptait y employer 14 divisions, ce que Castelnau trouve exagéré. L’opération lui paraît, du reste, désirable ; elle libérerait le canal de la Meuse, la ligne de Verdun à Lérouville et celle de Nançois-Toul. Castelnau ne sait rien des conversations de Foch et de Pershing. Il paraît, en ce moment, tenu un peu à l’écart de ce qui se passe. On enlève même à son groupe la 2e armée, commandée par Hirschauer et on la fait passer dans le groupe Maistre. Castelnau ne se plaint pas ouvertement, mais je le trouve triste et sombre. Près de Futeau, sur une grande prairie montante, dans un cadre de bois frais qui doit réjouir les yeux des Italiens, des compagnies de tous leurs régiments sont massées avec leurs drapeaux. Le général Albricci, commandant le 2e corps d’armée, vient au-devant de moi. C’est un homme de cinquante-quatre ans, grand, d’allure distinguée. Il parle couramment le français et paraît fort intelligent. Il a été attaché militaire à Vienne. Tous les généraux français font son éloge. Il est logé actuellement à Triaucourt, dans la propriété de mon frère Lucien. Puis je reviens au centre sur une petite estrade, près de laquelle sont groupés les drapeaux, les officiers et les hommes à décorer.