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LA VICTOIRE

J’ai fait venir Pichon pour lui parler des dévastations allemandes et lui demander s’il ne jugeait pas utile de faire, à ce sujet, une déclaration solennelle des Alliés, qui pût servir d’avertissement pour l’avenir et qui permît, en tout cas, de prendre date. Mais, comme Clemenceau venait de partir pour la Belgique, le pauvre Pichon n’a osé me répondre que d’une manière très évasive. Il me raconte cependant que Clemenceau avait hésité d’abord à présenter ses hommages à la reine Élisabeth de Belgique, parce qu’il la traitait d’Allemande. Pichon lui a démontré qu’elle avait toujours été admirable de courage et de loyauté et qu’elle n’avait pas hésité à dire à Pierre Loti : « Un rideau de fer est tombé entre ma famille et moi. »

J’ai rapporté à Pichon un mot que m’avait dit Clemenceau et contre lequel j’avais protesté : « Nous n’aurons peut-être pas la paix que vous et moi, nous voudrions. » Pichon me répond : « Quant à moi, je crois comme vous que si nous le voulons bien, nous aurons cette paix. J’entends par là que nous obtiendrons, si nous savons être fermes, l’Alsace de 1790 et la neutralisation de la rive gauche du Rhin. Quant au Luxembourg, j’ai mis Clemenceau au courant de la question. Je lui ai dit que la Belgique l’avait convoité et qu’il y avait dû y avoir, à un moment donné, une promesse faite par Jules Cambon. — Laissons le Luxembourg, dis-je à Pichon ; nous n’avons aucun droit sur le Grand-Duché et nous ne cherchons pas de conquêtes. »

Je demande à Loucheur ses impressions sur son voyage à Londres. Il me répond qu’on lui donnera le charbon dont nous avons besoin si l’on est à même de le débarquer, mais avant le débarquement, il faut transporter. Or la question des transports est très préoccupante, malgré les importations de locomotives et de wagons américains.