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LA VICTOIRE

tible, à la place de l’Empereur devenue place de la République.

Des tribunes et des gradins ont été aménagés et sont remplis d’une foule joyeuse. Notre propre tribune est installée de façon à avoir à droite le Palais impérial et en face, dans le lointain, la cathédrale. Spectacle admirable. Devant nous des spahis en kaki, avec chéchias rouges, mettent une note vive.

Une brume légère flotte et estompe tout. Un défilé commence : d’abord des troupes splendides, infanterie, cavalerie, artillerie ; puis délégations de tous les villages de la Basse-Alsace avec une variété infinie de costumes locaux, des conscrits, des vieillards, des fillettes de tout âge, des drapeaux, tout cela dans un ordre parfait, avec une charmante harmonie de lignes et de couleurs. Beaucoup d’Alsaciennes au pied de notre tribune. Elles grimpent toutes successivement nous offrir des baisers. Elles parlent bien le français, avec un léger accent, et chantent en français tous les airs que joue la musique militaire. Toute mon enfance me remonte au cœur. Je me rappelle ces airs chantés jadis à Bar-le-Duc par des Alsaciens et je revois, dans les concerts, apparaître les nœuds de soie noire.

Après cet émouvant défilé, nous sommes partis en automobiles pour le pont de Kehl. Nous nous sommes avancés à pied jusqu’au milieu. Beaucoup de députés et de sénateurs étaient venus aussi, bras dessus, bras dessous avec des Alsaciennes. Le maire m’a exprimé le désir que la France pût prendre une tête de pont à Kehl pour protéger Strasbourg. Contrairement à mon attente, Clemenceau a fait la sourde oreille en disant qu’il voulait concentrer tous ses efforts sur le bassin de la Sarre et que si l’on dépassait le Rhin, il n’y aurait plus de raison pour s’arrêter.