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LA VICTOIRE

rétablit le recours en révision au profit des condamnés à une peine perpétuelle. Je crains bien que la publication de ce décret ne donne à croire qu’il a été pris à propos des affaires en cours.

Ignace m’explique qu’il a promis ce décret à la Commission du Sénat comme transaction avec le texte de Paul Meunier, voté par la Chambre.

Il me semble qu’Ignace n’a pas trouvé de nouvelles charges contre Caillaux.

Il y a eu avant-hier une intervention très mouvementée de ce dernier. Bouchardon lui a dit : « En Italie, vous n’avez fréquenté que des gens qui sont aujourd’hui prisonniers. » Caillaux est entré en fureur. « Vous oubliez, s’est-il écrié, à qui vous parlez. Je suis un ancien président du Conseil. — Précisément, c’est parce que vous êtes un ancien président du Conseil que ces fréquentations prennent un caractère particulièrement grave. » L’interrogatoire a continué sur un ton très élevé. Le soir, à la Santé, Caillaux, qui se fait apporter ses repas du dehors, avait à dîner une sole frite et un légume. Il n’a pu digérer son repas et il a été malade pendant la nuit.

Ceccaldi, qui va le voir tous les jours, a déclaré qu’on a voulu l’empoisonner. Sur quoi le directeur de la prison a répondu que, désormais, les repas de Caillaux arriveraient dans un panier fermé à cadenas et que ce panier serait ouvert en la présence de Caillaux et de son gardien.

L’après-midi, Freycinet arrive toujours très préoccupé des rapports de Foch et de Pétain, ainsi que du commandement de l’armée de réserve. Je lui dis que Clemenceau compte bien au besoin servir d’arbitre. « Mais, me répond-il, Clemenceau ne sera jamais sûr d’être là au moment décisif. Et puis, il n’est pas sûr que nos alliés laissent à un homme politique français le droit de décider du sort d’une armée interalliée. »