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avec les miennes. Mais il y a les Russes, et nous ne pouvons évidemment pas ne considérer que notre front, car si un désastre se produisait là-bas, les Allemands ramèneraient ensuite toutes leurs forces contre nous.



3. De Nisch, n° 394.


Dimanche 13 décembre

Déjeuner sommaire à la préfecture avant dix heures du matin. Je pars pour Reims, en plein incognito, dans mon landaulet particulier, celui-là même qui nous a conduits dans cette ville, il y a trois ans, en des heures plus calmes, Mme Poincaré et moi, alors que venant de la Meuse et allant faire avec nos nièces un voyage de vacances, nous voulions leur montrer, au passage, les beautés de la vieille basilique. Cette fois, le général Duparge et le préfet m’accompagnent, mais nous sommes seuls tous trois et c’est à peine si, dans Châlons, quelques personnes remarquent notre départ. Nous suivons à une vitesse modérée la route qui longe à l’est et au nord-est la montagne de Reims. Nous traversons la riche région du vignoble champenois, dont la vendange a été cette année saccagée par les batailles. Nous passons à la Veuve, aux Grandes Loges, aux Petites Loges ; puis, pour ne pas tomber dans le» lignes, qui contournent Reims, nous prenons un chemin à gauche par Verzy. Nous voyons sur notre droite les tranchées qui se détachent en raies blanchâtres sur les monticules crétacés ; nous entendons le roulement continu du canon. Tout à coup, sous un ciel bas, mais dans un jour assez clair, apparaît devant nous la ville martyre. Par moments, une fumée noire, dont la vue nous annonce une détonation bruyante, s’élève et tournoie au-dessus des maisons. C’est un obus