Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/144

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avis, si l’on voulait briser les lignes allemandes, l’effort devrait être fait soit en Belgique, soit du côté de Spincourt, soit en Alsace, en tâchant de passer par un pont du Rhin jusqu’au grand-duché de Bade ; mais ses préférences sont pour Spincourt. Sarrail parle avec amertume des ordres et contre-ordres qu’il reçoit, dit-il, du quartier général. Il paraît très monté contre Joffre. Il me confie que le général en chef lui a demandé de lui rapporter exactement notre conversation. Est-ce défiance à l’égard de Sarrail ? Est-ce défiance à l’égard de moi ? Quoi qu’il en soit, autant d’uniformes je rencontre, autant d’opinions je recueille.

Lundi 29 mars.

Ce matin, par les Islettes, Clermont, Aubréville, malheureuses communes échelonnées sur des routes qui me sont familières, nous sommes allés, Sarrail et moi, suivis de Duparge et de Pénelon, dans la forêt de Hesse, à une cote 290, du haut de laquelle on voit à merveille, sur la colline de Vauquois, où a coulé tant de sang, les restes lamentables de ce pauvre village meusien. Un régiment français et un régiment allemand y sont retranchés nez à nez dans les caves des maisons détruites. À Clermont et à Aubréville, nous rencontrons précisément des troupes qui descendent de Vauquois et dont l’allure est magnifique. Nous passons quelques heures à parcourir des tranchées dans le bois de la Chalade, à visiter des baraquements improvisés par les hommes, et à regarder dans des bouquets d’arbres des pièces d’artillerie lourde, savamment camouflées. Je rentre à Paris dans la soirée, les yeux remplis d’images guerrières.