Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/59

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priétaires ont gardés depuis, jalousement cachés. À l’aspect de ces pieuses reliques, je me sens envahi par une invincible émotion. C’est l’Alsace elle-même que je vois se jeter dans les bras de la France retrouvée. Je visite les filatures, où sont restés affichés les règlements allemands et où travaillent de jeunes Alsaciennes. À cette hauteur de la vallée, tout est au calme. À peine entend-on, par moments, dans le lointain, le bruit sourd du canon.

Nous suivons la Thur et nous arrivons à la gracieuse petite ville de Saint-Amarin, où la foule, confondue avec nos troupiers, crie d’une seule voix : « Vive la France ! » Je suis d’autant plus remué par cet accueil que tous ces Alsaciens mêlent mon nom à leurs acclamations, comme s’ils voyaient dans le président de la République la personnification de la patrie. Nous entrons à la mairie, où sont réunis, avec la municipalité de Saint-Amarin, les maires de la vallée. Je les félicite, je leur dis combien nous sommes heureux de rendre à l’Alsace sa place au foyer national. D’accord avec Millerand qui m’assiste, je leur donne l’assurance que nous respecterons leurs traditions et leurs libertés. Le maire de Saint-Amarin veut me parler, mais il est si troublé qu’il n’y parvient pas. Moi-même, je suis contraint de faire un incroyable effort de volonté pour balbutier deux ou trois mots. Je décore deux autres maires désignés par l’autorité militaire ; ils peuvent à peine me remercier. Je me sens, comme eux, incapable de m’exprimer. Nous allons aux écoles. Dans les rues, les soldats nous saluent avec bonne humeur, les habitants redoublent leurs vivats ; de vieilles femmes, des jeunes filles, des enfants, se détachent de la multitude, pour m’apporter des fleurs, des rubans tricolores, une brochure française sur la