Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/62

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est encore peu communicative et même, en partie, défiante. Elle a peur que nous ne restions pas, et que les Allemands ne reviennent. Pauvres gens ballottés par les siècles entre deux grandes nations voisines !

Par Naubach, nous nous dirigeons vers le signal de Roderen et vers Masevaux. Dans tous les villages que nous traversons, nos soldats fraternisent avec les paysans et tous, côte à côte, nous prodiguent de nouveau les acclamations ; les enfants nous envoient des baisers ; les hommes agitent leurs casquettes ; les femmes nous sourient et nous saluent de la main. Au signal de Roderen, nous découvrons à nos pieds, sous une brume légère, la magnifique plaine d’Alsace et, là-bas, les blancheurs de Mulhouse, et plus loin, les montagnes de la Forêt-Noire. Pour le moment, ce n’est même pas la terre promise, c’est la terre perdue et interdite. Nous contemplons longuement cet immense panorama. Un ballon captif allemand, chargé d’observer nos lignes et de renseigner l’artillerie ennemie, est là pour nous dire : « Vous ne tenez qu’une parcelle de l’Alsace. Vous n’avancerez pas davantage. »

Nous revenons sur nos pas et nous partons pour Masevaux. C’est seulement au cours de l’après-midi que la municipalité de cette ville a été informée de ma venue probable. Aussitôt, comme par enchantement, toutes les maisons se sont pavoisées. Mais la plupart des habitants n’ont pas encore de drapeaux français et ils ont décoré leurs fenêtres de pavillons alsaciens, moitié rouges, moitié blancs. Nous arrivons tard. Je descends de mon automobile et je m’avance, dans l’obscurité, au milieu d’une foule très dense qui me fait une bruyante ovation. Un petit garçon m’offre un