Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/68

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chez lui. Il insiste pour revenir à l’Élysée, mais je tiens bon et je vais le voir à son domicile, rue de la Faisanderie, dans la matinée du dimanche 14. Je lui explique confidentiellement que Millerand et le cabinet se sont trouvés en dissentiment avec Joffre. Le général en chef ne voulait pas qu’on touchât aux dépôts. Il craignait qu’on ne lui enlevât les réserves nécessaires pour reconstituer les effectifs et surtout les cadres dont il pourrait avoir besoin, à mesure des opérations et des pertes éprouvées. Freycinet reconnaît qu’il y a là une difficulté sérieuse, mais il croit que Joffre redoutait surtout que l’armée nouvelle ne fût confiée à un chef indépendant. Or il a pris sur lui-même, Freycinet, de bien faire préciser par la commission que cette armée complémentaire serait, elle aussi, sous le commandement du général en chef. Je lui dis qu’en tout cas le gouvernement et Millerand sont résolus à la former, mais il faut ménager Joffre, qui a déjà parlé de démissionner. Freycinet convient que cette décision serait funeste. « Mais, dit-il, Joffre s’est plusieurs fois trompé. Il s’est trompé à Charleroi. Il s’est trompé en Alsace. Il faut l’éclairer. »

Freycinet ajoute que ce n’est ni Clemenceau, ni Doumer, qui a provoqué la démarche faite auprès de moi. C’est Léon Bourgeois qui a demandé que le président de la commission vînt me voir, et Freycinet a voulu être accompagné des vice-présidents. Il m’assure que la commission n’est animée d’aucune hostilité contre Millerand, mais le ministre a tort de ne pas s’engager ouvertement dans la voie qu’on lui indique. Freycinet me répète, d’ailleurs, que sur le front, partout immobilisé, les combats locaux demeurent très coûteux ; et, en effet, depuis le début de février,