Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

aboutir à un règlement définitif de la question, j’espère que la Russie consentira aussi à une discussion et à la suppression de préparatifs militaires ultérieurs, à condition que les autres Puissances enflassent autant. Malgré l’insistance de l’Allemagne, Grey ne demande donc pas à la Russie la cessation de ses préparatifs ; il comprend, au contraire, qu’elle ne les suspende qu’après que l’Autriche aura elle-même arrêté sa marche en avant. L’Autriche aura pris des gages, elle les gardera provisoirement, et l’on causera. La Russie n’avait pas dit non, mais l’Autriche s’obstinait à ne pas vouloir dire oui. Elle repoussait avec indignation la formule Halt in Belgrad qu’avait imaginée sir Ed. Grey, que Bethmann-Hollweg avait recommandée, que M. Sazonoff n’avait pas écartée, et qui marquait cependant une victoire pour la monarchie dualiste. Ni Berchtold, ni Conrad de Hotzendorf, ni Forgach, ni Hoyos n’admettent qu’on puisse ainsi limiter les opérations militaires en cours. Berchtold et Conrad voient l’empereur François-Joseph dans l’après-midi. On décide d’écarter toute tentative de médiation. Bethmann-Hollweg, mécontent de cette résistance insensée, ne peut se défendre d’envoyer à Tschirschky un télégramme (no 200), qui contient ce jugement irrévocable sur la conduite de l’Autriche : Si l’Autriche se refuse à toute concession… il n’est guère possible de faire retomber sur la Russie la faute de la conflagration européenne qui peut éclater… Si l’Angleterre réussit dans ses efforts, tandis que Vienne se refuse à tout, Vienne affirme par là qu’elle veut absolument une guerre où nous serons impliqués, alors que la Russie en demeure innocente. Il en résulterait, vis-à-vis de notre propre nation, une situation intenable pour nous. Nous ne pouvons que recommander énergiquement à l’Autriche d’accepter la suggestion de Grey, qui sauvegarde sa position sous tous les rapports.

Ce télégramme part de Berlin le 30, à neuf heures du soir. Sans doute, à ce moment, le chancelier ignore que la Russie va publier le lendemain la mobilisation générale. Mais supposons que la Russie ait retardé cette décision, ou même ne l’ait jamais prise, il n’en reste pas moins que l’Autriche, après avoir, avec le consentement de l’Allemagne, envoyé à la Serbie un ultimatum inexcusable, après avoir déclaré la guerre, après avoir bombardé Belgrade, après avoir pénétré sur le territoire serbe, a refusé de s’arrêter et qu’en pleine connaissance de cause elle a allumé une mine qu’il ne va plus être possible d’éteindre.

Au demeurant, le gouvernement allemand n’a pas seulement sa responsabilité dans les premières fautes de l’Autriche ; il en a encore une dans la résistance actuelle de son alliée. Pendant, en effet, que M. de Bethmann-Hollweg prêche la modération, Moltke et l’État-major pressent la mobilisation générale autrichienne et même, dans la soirée, les militaires ont raison de la frêle sagesse du chancelier « civil ». Circonvenu