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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/133

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COMMENT FUT DECLAREE LA GUERRE DE 1914

main de M. de Moltke, chef de l’État-major général ; il avait été légèrement retouché par MM. Stumm et Zimmermann, révisé par le chancelier lui-même et, après ces éminentes collaborations, envoyé sous pli cacheté par M. de Jagow au ministre d’Allemagne en Belgique, M. de Below-Saleske, avec recommandation de n’ouvrir l’enveloppe que sur ordre télégraphique. Cet ordre n’a été donné, en fait, à M. de Below-Saleske que le 2 août. Mais, dès le 26 juillet, l’accusation mensongère de pénétration sur le territoire belge avait été dressée dans l’ombre contre le gouvernement français, et c’est aussi dès le 26 juillet, c’est-à-dire bien avant la longue série des mobilisations, que le gouvernement impérial avait secrètement composé ce texte cynique : L’Allemagne n’a en vue aucun acte d’hostilité contre la Belgique. Si la Belgique consent, dans la guerre imminente, à prendre une attitude de neutralité bienveillante envers l’Allemagne, le gouvernement allemand, de son côté, non seulement s’engage, pour la conclusion de la paix, à garantir le royaume et ses possessions dans toute leur étendue, mais est même disposé à accueillir de la manière la plus bienveillante les réclamations éventuelles du royaume relatives à des compensations territoriales aux frais de la France. Lorsque, le 2 août, la Wilhelmstrasse a envoyé à M. de Below-Saleske l’ordre attendu de signifier cet ultimatum, elle a pris deux précautions. Elle a supprimé la dernière phrase, craignant, sans doute, de révolter davantage encore la conscience belge ; et elle a adressé à son ministre cette recommandation hypocrite : Le gouvernement de là-bas (la Belgique) doit demeurer sous l’impression que toutes ces instructions ne vous sont parvenues qu’aujourd’hui. Mais, malgré ces savantes dissimulations, l’ultimatum était là, depuis le 26, serré dans un meuble de la légation d’Allemagne. Le crime a donc été commis avec la circonstance aggravante de la préméditation.

Sans rien pouvoir encore pressentir de ces louches combinaisons, la Belgique, jalouse de son indépendance, était de plus en plus inquiète pour sa neutralité ; et le 31, notre ministre à Bruxelles, M. Klobukowski, écrivait à M. Viviani : « La nouvelle annonçant que l’Empereur allemand avait décrété l’état de menace de guerre a produit ici une émotion d’autant plus vive que les télégrammes du matin faisaient pressentir une légère détente. M. Davignon, que j’ai pu voir aussitôt à 2 h. 30, s’est montré fort impressionné. « Et sans doute, m’a-t-il demandé, le gouvernement français va prendre « des mesures correspondantes ? » L’instant m’a semblé opportun de lui dire que, sans avoir mission de lui faire une déclaration, je croyais cependant avoir toute autorité pour lui donner l’assurance éventuelle que le gouvernement de la République ne violerait pas le premier le territoire belge. Le ministre des Affaires étrangères m’a répondu que le gouvernement royal, confiant dans l’attitude amicale de la France à son égard, avait toujours pensé qu’il en serait ainsi et m’a