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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

Sur ces entrefaites, M. Sazonoff, qui s’était déclaré « prêt à accepter la proposition anglaise ou toute autre proposition propre à une solution pacifique », a lui-même offert à l’ambassadeur d’Autriche, comte Szapary, d’engager, entre Pétersbourg et Vienne, des négociations directes et il a demandé à cette fin la « coopération » de l’Allemagne. Il faut, a-t-il dit, « trouver un moyen de donner à la Serbie une leçon méritée, tout en respectant ses droits de souveraineté ». Le comte Berchtold ne l’entend pas ainsi. Il refuse net et déclare à l’ambassadeur de Russie que la guerre va être déclarée par l’Autriche à la Serbie.

L’initiative de M. Sazonoff était certainement bien intentionnée. Le ministre des Affaires étrangères, télégraphiait M. Paléologue, s’applique avec persévérance à faire prévaloir une solution pacifique. — Jusqu’au dernier instant, déclarait-il à notre ambassadeur, je me montrerai prêt à négocier. M. Paul Cambon avait craint cependant que la tentative russe ne fournît à l’Autriche un prétexte pour écarter la proposition britannique. Sir Ed. Grey venait d’insister auprès du prince Lichnowsky et de lui dire : « La Russie s’est montrée modérée depuis le début de la crise, notamment dans ses conseils au gouvernement serbe. Je serais très embarrassé pour lui faire des recommandations pacifiques. C’est à Vienne qu’il convient d’agir et que le concours de l’Allemagne est indispensable. » Sir Ed. Grey avait, en même temps, chargé son ambassadeur à Berlin de demander l’adhésion de M. de Jagow à son projet de conférence. Le ministre allemand avait répondu : « Il convient d’attendre le résultat de la conversation engagée entre Pétersbourg et Vienne » ; et, en présence de cette défaite, sir Ed. Grey avait dû prescrire à sir Ed. Goschen de suspendre ses démarches. Mais, en réalité, ce n’était pas l’entretien de M. Sazonoff avec l’Autriche qui avait fait échouer à Vienne et à Berlin la motion britannique. Dès le 27, le chancelier Bethmann-Hollweg avait télégraphié au prince Lichnowsky : Nous ne pouvons participer à une telle conférence, car nous ne pouvons traîner l’Autriche devant un tribunal européen, à l’occasion de son différend avec la Serbie. Et, recevant sir Ed. Goschen qu’il avait convoqué, le chancelier lui disait : « Nous n’avons pu accepter une proposition qui semblait imposer l’autorité des Puissances à l’Autriche. » M. de Bethmann-Hollweg assurait l’ambassadeur de son sincère désir de paix ; il lui parlait des efforts que lui-même, prétendait-il, faisait à Vienne, mais il ajoutait que la Russie était seule maîtresse de maintenir la paix ou de déchaîner la guerre. Sir Ed. Goschen lui répondait qu’il ne partageait pas son sentiment et que, si la guerre éclatait, l’Autriche aurait la plus grande part de responsabilité ; car il était inadmissible qu’elle eût rompu avec la Serbie après la réponse de celle-ci. Sans discuter sur ce point, le chancelier concluait :