Page:Poincaré - Science et méthode (Édition définitive).djvu/111

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événement est dû au hasard, ce mot a donc le même sens que dans les sciences physiques ; il signifie que de petites causes ont produit de grands effets.

Le plus grand hasard est la naissance d’un grand homme. Ce n’est que par hasard que se sont rencontrées deux cellules génitales, de sexe différent, qui contenaient précisément, chacune de son côté, les éléments mystérieux dont la réaction mutuelle devait produire le génie. On tombera d’accord que ces éléments doivent être rares et que leur rencontre est encore plus rare. Qu’il aurait fallu peu de chose pour dévier de sa route le spermatozoïde qui les portait ; il aurait suffi de le dévier d’un dixième de millimètre et Napoléon ne naissait pas et les destinées d’un continent étaient changées. Nul exemple ne peut mieux faire comprendre les véritables caractères du hasard.

Un mot encore sur les paradoxes auxquels a donné lieu l’application du calcul des probabilités aux sciences morales. On a démontré qu’aucune Chambre ne contiendrait jamais aucun député de l’opposition, ou du moins un tel événement serait tellement improbable qu’on pourrait sans crainte parier le contraire, et parier un million contre un sou. Condorcet s’est efforcé de calculer combien il fallait de jurés pour qu’une erreur judiciaire devint pratiquement impossible. Si on avait utilisé les résultats de ce calcul, on se serait certainement exposé aux mêmes déceptions qu’en pariant sur la