Page:Poincaré - Science et méthode (Édition définitive).djvu/160

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Mais ce n’est pas une raison pour ne pas cultiver chez eux l’intuition ; car ils se feraient une idée fausse de la science s’ils ne la regardaient jamais que d’un seul côté et d’ailleurs ils ne pourraient développer chez leurs élèves une qualité qu’ils ne posséderaient pas eux-mêmes.

Pour le géomètre pur lui-même, cette faculté est nécessaire, c’est par la logique qu’on démontre, c’est par l’intuition qu’on invente. Savoir critiquer est bon, savoir créer est mieux. Vous savez reconnaître si une combinaison est correcte ; la belle affaire si vous ne possédez pas l’art de choisir entre toutes les combinaisons possibles. La logique nous apprend que sur tel ou tel chemin nous sommes sûrs de ne pas rencontrer d’obstacle ; elle ne nous dit pas quel est celui qui mène au but. Pour cela il faut voir le but de loin, et la faculté qui nous apprend à voir, c’est l’intuition. Sans elle, le géomètre serait comme un écrivain qui serait ferré sur la grammaire, mais qui n’aurait pas d’idées. Or, comment cette faculté se développerait-elle, si dès qu’elle se montre on la pourchasse et on la proscrit, si on apprend à s’en défier avant de savoir ce qu’on en peut tirer de bon.

Et là, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse pour insister sur l’importance des devoirs écrits. Les compositions écrites n’ont peut-être pas assez de place dans certains examens, à l’École polytechnique, par exemple. On me dit qu’elles fermeraient la porte à de très bons élèves qui savent très bien leur cours,