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les arpents de neige

— Ah ! les mauvais chiens d’Anglouais ! c’est-y ben fait ! Ont-y des morts ?

— Une vingtaine, à ce qu’on dit…

— Et nous autres ?

— Des blessés.

Dans le jour tombant, le visage du grand-père, un visage de loup de mer boucané par les intempéries, encadré d’un collier de barbe, s’éclairait d’un sourire d’une bonhomie narquoise en contraste avec l’expression de joie contenue et quelque peu farouche qui animait les traits creusés de Pierre La Ronde.

Mais, si différents qu’ils apparussent d’âge et d’allure, ce vieillard aux longs cheveux encore mi-noirs et ce garçon au profil énergique étaient des types très représentatifs de leur race : celle des Métis franco-indiens du Nord-Ouest, dont une colonie était fixée en ce village de Batoche.

Situé tout au fond du Canada, sur la branche méridionale de la rivière Saskatchewan, à plus de mille kilomètres à l’ouest des grandes provinces peuplées, Batoche, centre de trois missions, était, vers 1885, un des avant-postes de la civilisation en pays sauvage.

Une petite église de bois s’élevait à peu de distance de l’endroit où était établi le bac, et sur plusieurs milles le long des berges s’essaimaient les modestes habitations de ces Métis appelés par les Anglais « Half-Breeds » et qui se donnent à eux-mêmes le pittoresque sobriquet de « Bois-Brûlés » : race aventureuse et forte qui allie merveilleusement le sang des Peaux-Rouges à celui de ses ancêtres