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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/184

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l’enquête

fixé que son interlocuteur. Il savait que le grand-père de Jean admettait difficilement qu’un tireur comme le Cri eût involontairement blessé un des siens, même dans la circonstance où les choses s’étaient passées… Et s’il avait agi dans le trouble de l’ivresse commençante, ainsi que Dumont avait paru le laisser entendre, n’était-il pas, malgré tout, dans une certaine mesure, responsable ? Le vieux Métis ne cachait à personne, d’ailleurs, son intention d’éclaircir ce dernier point.

Ce n’était pas au reste que Gabriel Dumont lui-même eût renoncé à s’occuper du Loucheux : maintenant, qu’instruit par Pierre, il savait quels terribles soupçons autorisait la conduite de Jean La Ronde, il était décidé à poursuivre sans tarder son enquête, et un nouvel interrogatoire de l’Indien lui semblait de toute nécessité : quel rôle avait joué cet homme dans cette mystérieuse affaire ? Était-il le comparse de Jean ou bien plutôt son mauvais génie ? La dernière hypothèse lui semblait la plus vraisemblable. Cet homme, de face chafouine que son léger strabisme enlaidissait encore, avait quelque chose d’énigmatique et d’inquiétant. Il courait sur son compte des bruits fâcheux : un double meurtre, celui de ses deux femmes, l’avait, disait-on, obligé à quitter sa tribu, une tribu de Cris des Bois qui errait beaucoup plus à l’est. À la vérité, depuis six années qu’il habitait Batoche, il avait cumulé paisiblement les métiers de maquignon et de trappeur sans qu’on ait guère eu à lui reprocher autre chose que son goût trop prononcé pour les spiritueux ; malgré tout, il était peu sym-