Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
les arpents de neige

qui lui emprisonnait le corps, Jean La Ronde apparut grand et mince, de formes souples, avec une face brune aux traits nets et fins qui le faisaient ressembler à un Mexicain des frontières. Vingt ans et presque imberbe, — à peine si deux touffes légères lui descendaient de la chevelure le long des joues, — il avait une physionomie avenante. Toutefois, Henry de Vallonges, qui, au début de son séjour à Batoche, en avait beaucoup apprécié l’air de franchise et la distinction réelle, trouva, ce soir-là, qu’une expression d’exaltation singulière animait cette figure brune où brillaient presque fiévreusement les yeux noirs.

Aux multiples questions qu’on lui posa, le jeune voyageur répondit d’une façon un peu confuse, parlant beaucoup, mais avec l’air d’un homme dont la pensée est très loin. Il avait dû s’attarder à Saint-Paul, affirmait-il, le trafiquant n’ayant pas été exact au rendez-vous… D’ailleurs, le mauvais temps qui sévissait dans le Nord l’avait beaucoup gêné à l’aller… Certainement, il était satisfait, s’étant débarrassé avantageusement de sa pelleterie… Le retour avait été pénible, surtout dans les passes, du côté de Battleford, où beaucoup de neige s’était accumulée…

Il disait tout cela avec volubilité, en attaquant à belles dents un morceau de « chignée » (échine de porc) qu’on venait de poser devant lui sur la table ; mais jusque dans sa façon de manger, on sentait quelque chose de machinal : visiblement l’esprit était ailleurs…

L’annonce du récent succès des Métis ne parut