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les arpents de neige

de rappeler que ces singuliers mercenaires amenaient avec eux leurs femmes, dont ils se contentaient de surveiller le travail en fumant noblement leurs pipes à l’ombre :

— Ce sont des brutes sans énergie ! avait-il coutume de dire.

Et quand on exprimait devant lui la crainte d’une insurrection indienne, il haussait dédaigneusement les épaules.

En dépit de l’optimisme paternel, miss Elsie ne se sentait que médiocrement rassurée. C’était pourtant une vraie fille des frontières, alerte, hardie et peu portée aux vaines rêveries. Elle avait perdu sa mère de fort bonne heure, et l’homme à la fois entreprenant, flegmatique et volontaire qu’était Hughes Clamorgan l’avait façonnée à son image. Physiquement, du reste, elle rappelait beaucoup son père par la démarche, la taille, les yeux très bleus, le menton volontaire, l’air décidé ; seulement, sa fraîcheur de blonde Anglaise de vingt ans, sa voix assez douce aux intonations caressantes, corrigeaient ce qu’il pouvait y avoir d’un peu masculin dans ses allures, et, à de certains moments de détente, un charme très particulier émanait d’elle.

À cette heure, allongée dans un rocking-chair, elle regardait une à une à la lumière du jour triste d’hiver les pages illustrées ; mais elle se sentait elle-même comme attristée, et elle ne trouvait pas à cette distraction le même attrait que de coutume.

Les aboiements courts et comme étouffés du chien de garde lui firent soudain dresser l’oreille… Et, brusquement, ils éclatèrent avec une telle fureur