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les arpents de neige

— Moi, j’ai pu m’enfuir, continua l’homme. Ils ont tiré sur moi… Voyez-vous, une balle m’a éraflé la tête. Ce n’est rien… mais j’ai pensé tomber… je saignais… mais je marchais tout de même devant moi, sans trop savoir… Heureusement, j’ai trouvé votre ferme… je n’aurais pu aller plus loin… j’étais à bout de forces…

La volubilité fiévreuse de ses paroles, le sang figé sur sa tempe et sur sa joue gauches, donnaient à son récit quelque chose de terriblement éloquent.

Hughes Clamorgan lui-même paraissait sérieusement atteint dans son flegme. Il réfléchit un instant, puis, pratique avant tout, demanda :

— Que pensez-vous qu’il y ait à faire ? Y aurait-il danger ?

— Fuir ! interrompit l’étranger avec une énergie singulière… Il faut fuir au plus vite… Fuir et gagner le Fort-Pitt.

Vivement impressionnée, miss Elsie se tourna vers son père : |

— Cet homme a raison, dit-elle. Il serait imprudent de ne pas suivre son conseil.

Mais déjà le fermier, prompt à la décision devant un danger certain, avait pris son parti.

Il se tourna vers les serviteurs :

— Sortez les « buggies », commanda-t-il ; mettez-y des armes et des munitions et que, dans vingt minutes, tout soit prêt. Pour nous, Elsie, occupons-nous de ce que nous avons de précieux.

Au bout d’une demi-heure, les deux buggies et un chariot léger emportaient dans la nuit tous les habitants de la ferme Clamorgan vers le Fort-Pitt.