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les arpents de neige

le long des berges. On entendit siffler les balles.

Un homme, non loin de Hughes Clamorgan, s’effondra en vomissant le sang.

Le farmer, qui tenait sa carabine prête, riposta. Ce fut comme le signal de la défense. Quelques colons armés l’imitèrent. Sur la chaloupe, une série de détonations éclata. Mais les fugitifs n’apercevaient de l’ennemi que des ombres agiles, habiles à se masquer derrière les troncs, les buissons des rives… La lente masse noire qui glissait au fil de l’eau était, au contraire, un but facile pour les balles indiennes ; chaque coup, presque, portait. Déjà, une dizaine de morts ou de blessés jonchaient le radeau, et la fusillade redoublait sur les berges.

L’affolement gagnait, chaque minute davantage, les femmes et les enfants. On les avait fait coucher, mais plusieurs, pris de panique, se levaient, comme pour fuir. Les uns poussaient des cris de terreur : les autres sanglotaient à pleine poitrine. Coup sur coup, près de miss Clamorgan qui avait bravement et inutilement brûlé les six cartouches de son revolver, plusieurs hommes s’effondrèrent. De temps en temps, un gros bruit mouillé annonçait qu’un corps venait de tomber à l’eau. La démoralisation s’emparait des colons, dont les munitions s’épuisaient et qui voyaient autour d’eux leurs compagnons, leurs femmes et leurs enfants fauchés par les projectiles. Sous leurs pieds mal assurés, ils sentaient le radeau tout visqueux de sang répandu. Ils comprirent qu’ils étaient perdus…

À ce moment, miss Clamorgan, debout au milieu des cadavres, éprouva un petit choc au front ; vive-