Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
un point noir

Et, durant le reste du trajet, il évita de faire la moindre allusion au disparu.

Le lendemain, dans la matinée, les Métis atteignaient les berges de la Saskatchewan méridionale, mais ce ne fut pas sans peine, à cause de la débâcle commençante des glaces, qu’on gagna le village construit sur la rive droite.

Le premier soin du Français fut de rassurer les La Ronde sur le sort du cadet. Il dut même faire appel au témoignage de Pierre pour persuader à la mère que son fils n’était ni mort ni blessé.

Le père et l’aïeul se montraient plus calmes. Habitués à la vie aventureuse des plaines, ils ne s’étonnaient pas outre mesure de l’incident.

— Il ne va pas tarder à s’en r’venir, sûrement, disait Baptiste. C’est pt’être ben sa jument qui s’est détachée et ensauvée.

— Ou lui qui s’est ensauvé sur sa jument, ricana Pierre, mais assez bas pour que, seul, Henry de Vallonges, qui se trouvait près de lui, pût l’entendre.

Le reste de la journée s’écoula sans qu’aucun des membres de la famille se préoccupât, du moins en apparence, du sort de Jean.

Toute l’après-midi, sur les bords mêmes de la rivière, des escouades de Métis furent occupées à creuser avec des pics ces trous reliés par des tranchées et destinés à abriter les tirailleurs, ces « rifle-pits » (puits à fusils), selon l’expression anglaise, qui devaient être, quelques semaines plus tard, si fatals aux soldats de la « puissance »,

La nuit vint parmi le vent qui soufflait en rafales et la neige tourbillonnante.