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les arpents de neige

Sur son matelas en feuilles de maïs, Henry de Vallonges attendit quelque temps le sommeil. Le sort de Jean La Ronde, sans l’inquiéter précisément, le préoccupait. Il nourrissait une sympathie particulière pour ce garçon un peu mystérieux. Chez ses frères, plus frustes, revivait davantage l’indigène stoïque et brave. La sensibilité plus fine de celui-ci le rapprochait plutôt de ses origines françaises. Sans être grand psychologue, Henry de Vallonges le sentait nettement… La conduite du Métis l’intriguait, et il se promettait de faire tous ses efforts pour l’éclaircir à la prochaine occasion.

Le lendemain, le vent avait cessé, et un soleil léger caressait doucement la neige durcie par la gelée de la nuit. Dans ce froid, mais joli matin d’avril canadien, le Français descendit, à travers les bois qui entouraient le village, jusqu’aux bords de la rivière. Des Métis travaillaient déjà aux « rifle-pits ». Quelques-uns, tout en maniant le pic, entonnaient à pleine voix une chanson de bûcherons qui montait alerte et vive et bien française dans l’air sonore.

Nous avons roulé le Long-Sault,
Nous l’avons roulé tout d’un morceau
 Ah ! que l’hiver est longue !
Rouli, roulant, ma bosse roulant,
En roulant ma boule roulant,
 En roulant ma boule !

Henry de Vallonges écoutait l’amusant refrain, tout songeur, appuyé sur le canon de son fusil. Depuis qu’il avait mis le pied dans ce pays, il se