Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/27

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Mon affaire serait mauvaise. Si Billoin reconnaissait ma carriole, ça suffirait, mon fieu. T’as un bon coup d’œil et t’es pas manchot ; c’est pour c’motif que les vieux te mettent toujours d’la partie dans les bons coups. Mais t’es jeune, et t’n’as pas encore notre expérience.

Et le cheval continuait toujours son chemin au trot allongé.

— C’est tout de même embêtant de laisser une bête dans le bois.

— Faut pas être trop gourmand, répliqua le père Giraud.

Mais son fils, piqué par la curiosité d’une part et désireux de montrer aux anciens qu’il était aussi courageux qu’adroit, dit en sautant de la carriole :

— J’vais voir c’qu’est devenu Laurent. Papa donnera en passant mon fusil à Estelle.

Et il disparut dans la forêt, tandis que le père Giraud murmurait :

— C’est jeune, ç’a la tête chaude.

Et les braconniers, réduits à six, ne songèrent plus qu’à mettre leur butin en sûreté.

Cependant le mari de la bossue se dirigeait au pas de gymnastique vers le théâtre de leurs exploits : car il fallait qu’il se pressât, s’il voulait arriver avant les gardes. Il n’avait guère que huit cents mètres à parcourir : ce fut l’affaire de quelques minutes.

Quand il atteignit la jeune vente et les fougères, le braconnier, avant de sortir du fourré, regarda de tous côtés mais ne distingua aucune silhouette de garde.

Toutefois il savait que les forestiers ont l’habitude de pratiquer l’affût contre les braconniers de même que ces derniers contre le gibier.

Aussi, au lieu de continuer à marcher, il se mit à ramper sous les fougères jusqu’au point bien fixé dans sa mémoire où l’animal avait dû tomber.

Quand il y fut parvenu, ses mains rencontrèrent quelque chose d’étrange qui ne ressemblait en rien à une biche.

— On dirait un bonhomme, pensa-t-il.

Puis l’idée d’un garde embusqué là s’empara de son