Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/90

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silhouettes affaissées couronnées d’un bonnet blanc ou d’une casquette, dont les bords rabattus frileusement protégeaient les oreilles d’un bon vieillard au chef tremblant.

Les cabriolets et les carrioles les dépassaient en coup de vent. Les conducteurs criaient :

— Hop ! là-bas.

Ils pestaient aussi contre l’apathie des bonnes vieilles gens :

— Vous êtes donc sourds !

— Vous n’y voyez pas clair !

— Quelles tortues !

— Allons, dérangez-vous, tas d’escargots enfarinés !

Mais les bonnes vieilles gens demeuraient impassibles. Ils avaient vraiment trop vécu pour s’émouvoir.

Les cris s’accentuaient encore, lorsque les voitures légères venaient butter en quelque sorte contre les lourdes gribanes des meuniers, roulant sur le milieu de la route.

Le charretier, enroulé dans sa limousine, sommeillait malgré le vent un peu dur qui venait du Nord. Les sacs de blé empilés jusqu’à la hauteur d’un premier étage pesaient lourdement sur l’essieu engagé dans les énormes roues qui broyaient avec un bruit sourd les cailloux de la route. Ce roulement continuel berçait le conducteur que les appels secouaient à peine de sa torpeur. Il criait tout de même par habitude.

— Huhau ! Huhau !

Et les chevaux obliquaient à droite pour laisser passer les cabriolets et les carrioles dont les propriétaires sacraient, tempêtaient, injuriaient, contenant avec peine leurs bêtes que l’écurie tentait.

Vers neuf heures, il n’y eut plus sur la route que les gribanes des meuniers traînées par leurs gros chevaux à l’allure lente.

À dix, la voie départementale devint déserte. Les chouettes et les hiboux, à l’aise désormais, lançaient, perchés sur les pommiers, leurs plaintes lugubres auxquelles se mêlaient les cris des courlis d’humeur vagabonde.