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II


Et penser qu’en ces jours de deuil, où la nature
S’endort sous les frimas, veuve de sa parure,
Où les flots sous les rocs rampent pâles et froids,
Comme les courtisans rampent aux pieds des rois ;
Où le mistral glacé, qui rugit avec force,
Dépouille les forêts de leur robe d’écorce
Et de leurs longs cheveux en doux accords féconds
Où la neige blanchit de livides flocons
Le gazon de la plaine ; où le ciel même entonne
Le funèbre concert de sa foudre qui tonne ;
Penser que dans ces jours, images de celui
Où le dernier soleil sur le monde aura lui,
Où pour nous le néant rouvrira ses cratères,
La fortune et l’orgueil, hydres héréditaires,
Sur la mer des plaisirs vont se vautrer soudain ;
Que le pauvre, accablé de mépris, de dédain,
Va, furtif comme un loup qu’un long hiver affame,
Pour assouvir sa faim jouer un rôle infâme,
Ou livrer au scalpel de l’oisif carabin
Son corps bientôt cadavre et mort faute de pain !
Et que le corbillard qui vers le cimetière
Roulera sourdement sa funèbre poussière,
Ne sera salué que d’un rire moqueur…
Oh ! ce hideux tableau déchire et fend le cœur !