Page:Ponson du Terrail - Le Bal des victimes.djvu/228

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Bernier était seul en face d’une bouteille demi-pleine.

Depuis qu’on avait supprimé le couvre-feu, jamais les rues de Paris n’avaient été plus tranquilles.

Paris s’éveillait le matin, et, comme un géant aux mille têtes et aux deux mille oreilles, il écoutait tomber le couteau de la guillotine.

À la nuit, le bruit sinistre s’éteignait et les bourreaux s’allaient coucher.

Alors Paris soufflait ses lampes, enterrait ses feux, fermait ses portes et ses fenêtres et s’endormait d’un sommeil fiévreux empli de sombres cauchemars.

Donc, tandis que Bernier buvait, que le président du club ronflait sous la table, et que les sept ou huit sans-culottes chantaient d’une voix avinée un couplet de la Marseillaise, on eût entendu courir un rat ou voler une mouche dans la rue André-des-Arts, dont beaucoup de maisons avaient envoyé leurs propriétaires éternuer dans le son, suivant la charmante expression d’alors.

Tout à coup un bruit de pas se fit dans le voisinage du cabaret, dont la porte était demeurée entr’ouverte.

C’étaient des pas inégaux, précipités, dont le bruit fut couvert, un moment, par un cri d’angoisse.

Le sergent Bernier prêta l’oreille, et, comme il portait la main à la garde de son sabre, une femme entra dans le cabaret en disant d’une voix mourante :

— Sauvez-moi !

Cette femme était jeune ; elle était belle, en dépit de son visage bouleversé par la terreur ; et ses vêtements en désordre attestaient qu’elle venait de subir une lutte et de se soustraire à un ou plusieurs agresseurs.