Page:Ponson du Terrail - Le Bal des victimes.djvu/33

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— Il y a un proverbe fort connu, poursuivit Cadenet, qui prétend que les vivants doivent la vérité aux morts.

— Je ne suis pas mort encore, monsieur, dit froidement Barras.

— Attendez donc un peu, citoyen directeur, vous allez voir que j’ai retourné le proverbe.

— Comment cela ? demanda Barras.

— C’est un mort qui va dire la vérité à un vivant.

— Un mort !

— Oui, et ce mort, c’est moi…

Madame Tallien et Marion se regardèrent avec inquiétude ; Barras fit, malgré lui, un pas en arrière.

Mais Cadenet poursuivit :

— Oui, cher citoyen directeur, je suis mort, bien mort, et cela depuis quatre ans révolus, car j’ai été guillotiné en octobre mil sept cent quatre-vingt-treize.

Barras ne répondit point directement à Cadenet, mais il regarda madame Tallien et lui dit :

— Je ne savais pas, madame, que vous eussiez des fous pour amis.

Madame Tallien, dont l’émotion allait croissant, ne répondit pas, Cadenet continua :

— De mon vivant, je m’appelais le marquis de Cadenet. J’étais seigneur d’un petit bourg situé en Provence, à une lieue de la Durance et à quatre ou cinq lieues de la ville d’Aix. La Révolution me surprit dans les fonctions de cornette de cavalerie.

J’émigrai d’abord ; puis le mal du pays, compliqué du mal d’amour, me prit, et je revins en France. J’entrai à Paris de nuit, j’allai me loger chez mon ancien valet de