Page:Ponson du Terrail - Le Bal des victimes.djvu/53

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Barras courba la tête et ne souffla mot.

En ce moment peut-être le chef du Directoire, l’ancien conventionnel, l’homme qui avait frappé de la hache cet arbre aux nombreux rameaux qu’on appelait la noblesse de France, se souvenait-il de son origine et se disait-il que tous ces gens qu’il avait sous les yeux avaient jadis été les siens, qu’il était de leur rang et de leur race ; et il éprouva l’indéfinissable et poignant sentiment de honte qu’éprouverait un prêtre apostat en se retrouvant dans le sanctuaire.

Cadenet ne parut point s’en apercevoir, et, prenant Barras par le bras, il lui dit :

— Venez, cher directeur, je vais vous présenter aux dames.

— Non ! non ! dit Barras avec une sorte d’effroi ; je ne veux pas !…

— Quelle plaisanterie ! ricana Cadenet.

— D’ailleurs, ajouta le directeur, que viens-je faire ici, moi ?

— Vous venez au bal.

— Mais… je n’ai… aucun droit.

— Vous vous trompez !

Et Cadenet, à travers son masque, lui jeta un froid regard.

— Vous, comme nous tous, citoyen directeur, reprit-il, vous avez perdu quelqu’un pendant la Terreur.

— Moi !

— Vous oubliez votre oncle, le chevalier de Barras… tué à l’armée de Condé… pendant que son neveu votait la mort du roi.