Page:Ponson du Terrail - Le Bal des victimes.djvu/55

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Son accent était triste et doux, et Barras sentit ses jambes fléchir.

— J’ai eu bien des malheurs, mon cher Paul, reprit-elle, depuis vingt années bientôt que nous avons été séparés. Car vous n’avez pu oublier le temps de notre jeunesse ; j’avais seize ans et vous vingt-six ; vous entriez aux gardes du corps, je sortais, moi, du couvent de Saint-Cyr ; vous m’aimiez alors… et nous devions nous marier…

Barras passa sur son front une main convulsive.

— Au nom du ciel, Laure, dit-il, ne me rappelez point des souvenirs, hélas ! trop cruels…

— Mais, au contraire, mon cher Paul, dit celle qu’il avait saluée du nom de Laure, laissez-moi vous dire ma triste histoire. Quand notre mariage eut été rompu par l’inflexible volonté de votre oncle, j’épousai le marquis de Valensolles.

C’était un galant homme, et qui s’efforça de me rendre heureuse.

Le temps adoucit les maux de l’âme, mon cher Paul ; je vous aimais toujours, mais je finis par vouer au marquis une bonne et douce affection.

J’eus deux fils de mon mariage, deux fils jumeaux.

Ici la voix de la marquise de Valensolles s’altéra :

— Peut-être, ajouta-t-elle, savez-vous ce qu’est devenu mon mari ?

— Madame… madame… balbutia Barras dont le front était inondé de sueur.

— Mon mari avait été lieutenant aux gardes françaises, mes fils avaient seize ans en 93. Tous trois étaient cachés dans une maison de la rue du Petit-Carreau, et y atten-