Page:Ponson du Terrail - Le Bal des victimes.djvu/63

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s’arrêtât autrement que pour changer de mesure, — ce fut une pavane, la danse des vieux rois, — puis, un menuet, le triomphe des beaux de Versailles.

Et puis encore la valse… une valse allemande échevelée, étourdissante, lente et rapide tour à tour, — une valse notée par Lulli peut-être, et qui reportait le directeur à son insoucieuse jeunesse de garde-du-corps.

Chaque fois, Barras avait changé de danseuse.

Pendant une heure, Barras vécut dans un monde à moitié fantastique.

Il avait perdu la mémoire, il ne savait où il était, et il vivait enivré, fasciné, s’abandonnant à un plaisir fébrile, faisant danser les plus belles femmes, recueillant des compliments sur son élégance, s’abreuvant d’harmonie et de parfums.

Barras n’était plus un homme politique, il n’était plus directeur, il avait oublié qu’il tenait les destinées de la France dans ses mains.

Barras était redevenu garde-du-corps et gentilhomme : il avait rajeuni de vingt ans, il se sentait à l’aise dans cette aristocratique réunion, remplie de senteurs, semée de blanches épaules, de chevelures ondoyantes et pétries d’élégances achevées. Mais il n’est rêve qui ne finisse…

L’orchestre se tut, le bal cessa… Et, chose bizarre ! les lustres s’éteignirent comme sous un souffle puissant et mystérieux.

Barras se trouva tout à coup dans les ténèbres.

Un bruit confus se fit autour de lui, bruit étrange, mêlé