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Page:Potvin - L'appel de la terre, 1919.djvu/80

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l’on pouvait le regarder presque fixement sans que les yeux se mouillassent. À mesure qu’il tombait, les berges boisées de la rivière, de vertes devenaient d’un violet tendre… C’est la minute silencieuse, les « lata silentia » de Virgile, disait l’instituteur. Le prestige de mystère de cette sorte de pénombre fait taire les êtres et les choses ; tout se plonge dans une muette rêverie ; l’eau n’ose plus même s’iriser ; les feuilles ne frissonnent plus dans les arbres de la rive et l’oiseau étouffe ses trémolos… Tout à coup, le faible croissant, qui était encore le soleil, s’abime derrière la montagne. L’eau alors devint subitement blanc d’acier et frissonna ; il se produisit un large murmure sur les bords et ce sont toutes les feuilles qui se sont mises à trembler comme effrayées par l’obscurité qui venait : cèdres, bouleaux, sapins et épinettes bruisent ; en cinq ou six longues mesures, des pépiements endormis flottent dans l’air qui a fraîchi subitement, comme si l’on passait d’une chambre très tiède au dehors, le soir, en automne. Ensemble, l’eau et les arbres produisent ce bruit que l’on entend dans une grosse coquille quand on l’approche très près de son oreille. Sur la crète des pics et sur l’eau de la rivière, en certaines anses, subsistent encore du soleil quelques reflets de fauve splendeur ; bien loin, le fleuve est taché de plaques de lumière rose qui s’éteint peu à peu. Et, dans l’Anse à l’Eau, non loin du quai, dormant sur les flots qui miroitent, une barque ancrée, flanquée de ses avirons, semble un gros oiseau qui s’est endormi là, les ailes repliées. Une odeur pénétrante vient de la