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Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/113

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LE FRANÇAIS

tourbillonné, aux dernières lueurs des derniers rayons du soleil, au-dessus des carrés du jardin ; c’est un signe de beau temps pour le lendemain.

Bientôt Marguerite, se levant soudain du rebord humide de l’allée, s’appuya, elle aussi, sur la clôture, tout près de Léon Lambert qui rêvait au village natal.

Le décor a changé soudain pour l’engagé. Sans transition trop brusque entre le souvenir et la réalité, il sent le besoin d’exprimer à haute voix ce qu’il a vu… Des images défilent devant lui avec une netteté singulière et qu’il se met à décrire à Marguerite… C’était des images simples évoquant des choses et des gens simples où il n’y avait rien qui put choquer la jeune fille. Il les racontait avec franchise parce qu’il sentait, plus qu’en tout autre moment, qu’il n’avait pas changé de monde ni de milieu, que les Laurentides étaient pareilles aux Cévennes avec leurs plateaux pleins de terre nourricière et leurs pics inaccessibles. Ce qu’il contait à la jeune fille, c’était des choses qu’il savait être comprises tout naturellement par elle…

Il lui racontait qu’un matin brumeux et frais, son père lui avait remis, pour la première fois, entre les mains, les mancherons de la charrue pour labourer une petite pièce de terre où il voulait semer du blé et qui était tout au bord de la route communale. Le grand bœuf roux qu’il « touchait » tirait d’un effort lent et continu, sans secousse, et la terre brune se déchirait sous le tranchant du soc ; elle se fendait comme du cuir sous le couteau du cordonnier, s’entr’ouvrait et