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Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/175

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LE FRANÇAIS

soit au repos, allongea vers Jacques un long regard comme pour le défier… Il y eut un moment de silence. Puis l’on se mit à écouter, oreilles battantes, la parole ardente, colorée, de l’engagé de Jean-Baptiste Morel. L’accent était quelque peu rugueux d’abord pour les oreilles peu accoutumées, mais ce Cévenole avait une éloquence naturelle, un bonheur d’expressions qui ravirent ses auditeurs…

La fournaise !… Il l’avait aperçue, un soir, du haut d’une colline, après qu’il eut quitté son village ; elle était rouge et flamboyait au soleil couchant. Au-dessus des clochers, des dômes et des toitures, à perte de vue, une lueur d’incendie planait et se traînait parmi laquelle montaient des clameurs assourdies, échos familiers des vastes cités… Et il avait eu, de plus, une vision, un soir de sa jeunesse, qu’au sommet d’un des plus hauts plateaux de son pays, il gardait un troupeau de chèvres. Au fin fond du pays bas, il avait vu briller dans l’ombre une ville, si loin qu’il ne pouvait la désigner… Il lui était alors venu des idées, des réflexions qu’il pouvait à peine comprendre ; des histoires que son bout de cervelle ne semblait pas assez grand pour ramasser. Alors il eut comme la vision qu’il s’envolerait un jour vers la rutilante fournaise, celle qui s’embrasait là-bas, pareille à une torche monstrueuse dressée sur l’horizon… C’est vers cet étincellement nocturne que se portent les regards avides de spectacles fastueux de ceux qui ont trop accoutumance d’entendre, aux époques des moissons frémissantes, chanter les brises dans les futaies des trécarrés…