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LE FRANÇAIS

il pourra s’en aller dans le calme de ses champs, dans la paix infinie des campagnes outaouaises, de préférence, au blond soleil d’automne, comme sont partis le père et l’épouse. Il ne craint plus l’intrusion de l’étranger sur sa terre, ni le morcellement de son lot, ni les tentatives d’accaparement de son redoutable voisin, M. Larivé.

Et Jean-Baptiste Morel, appuyé à la clôture, à côté de son ami André Duval, lui aussi maintenant, sourit d’un plein contentement. Les joies du rêve ont chassé les soucis de la réalité. Pour être invisibles et semblables à de l’or mêlé au sable, elles n’en existent pas moins ces joies du rêve et si, aux heures de tristesse, Jean-Baptiste Morel ne voyait que du sable, en ce moment l’or paraissait rutilant.

Les paroles ne se précipitaient pas sur les lèvres de ces deux paysans placides, rêveurs, et qui ne disaient que ce qu’il fallait dire, qui regardaient plutôt, qui observaient et qui pensaient. Ils écoutaient plutôt leurs pensées et chacun paraissait hésiter à les communiquer. C’est pourquoi ils ne cessaient toujours pas d’allumer pipe sur pipe et à force de fumer, de former autour de leur tête un nuage bleuâtre que la brise du sud-ouest, très faible, qui passait en ce moment sur la prairie, dissipait à peine.

Jamais ces deux habitants élevés au pays n’avaient ressenti avec cette plénitude la paix radieuse de leurs campagnes. Il faisait bon dans ce paysage immobile. Au bord du chemin aux charrettes qui serpentait en gris au travers des losanges vert pâle des champs jus-