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LE FRANÇAIS

partait parce que c’était bien son affaire, à lui, de partir, de s’en aller où il voudrait puisque, dans quelques mois, son âge majeur allait lui donner le droit de disposer de lui comme il l’entendrait. Et son tempérament, fier et indépendant, vaniteux, répugnait qu’on lui imputât des motifs qui l’eussent humilié.

Au fond de tout, Jacques Duval n’aimait pas la terre et il s’était mis dans la tête qu’il ne pourrait jamais s’astreindre à ces travaux de culture. À la vérité, il faisait peu d’efforts pour devenir cet habitant qu’on souhaitait de lui, tout le travail de son esprit étant dépensé à forger le bonheur de sa vie future au milieu des villes ; et c’est aux minuties multiples de ce travail intense d’imagination qu’il condamnait sans répit ses facultés pendant que ses bras et ses jambes vaquaient aux travaux de la ferme. Par une association d’idée naturelle, pour lui, il pensait aussi sans cesse, depuis quelques mois, à la fille de Jean-Baptiste Morel ; il s’en était sincèrement épris et elle était devenue comme la figure principale du monde heureux que forgeaient ses rêves de bonheur sans mélange.

De même que Jean-Baptiste Morel, encore que ce ne fut pas pour les mêmes motifs, Jacques Duval ne prenait pas bien au sérieux l’attitude indifférente à son égard de Marguerite Morel, pas plus que ce penchant qu’elle lui avait laissé voir pour le Français. Pour lui, c’était une parade et, quand il aura carrément déclaré sa flamme, ce caprice ne laissera pas plus de trace que n’en laissent les pas sur la mousse des savanes. L’idée qu’une jeune fille de la place à qui il aurait sérieuse-