Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
LE FRANÇAIS

saison, ne manquait pas d’aller faire une visite à son obstiné voisin. Le prix qu’il offrait pour sa terre montait, montait toujours ; mais Jean-Baptiste Morel résistait, et l’ancien commerçant de Montréal se heurtait à un mur. La lutte était au plus fort entre le paysan et le grand fermier quand ce dernier apprit le départ du fils de Morel pour la guerre. Il s’imagina qu’il gagnait un premier point, mais, en homme d’affaires avisé, il décida de ne pas brusquer les choses et d’attendre avant de frapper un dernier grand coup. Pendant tout le temps que passa Joseph Morel au front. M. Larivé ne fit à son voisin que des visites de toute simple politesse voulant seulement, comme il disait, tenir le fer chaud. Un jour, en même temps que toute la population de Ville-Marie, M. Larivé apprit la mort héroïque du sergent Joseph Morel. Contraste douloureux entre les deux voisins, le grand propriétaire ne se tînt plus de joie. Le malheur de l’un faisait le bonheur de l’autre, et les jeux de l’ironique destinée continuaient. La partie était gagnée pour M. Larivé ; du moins il le croyait ; Jean-Baptiste Morel, faute des bras de ce fils, vendrait sa terre, le propriétaire n’en doutait plus. Il attendit encore quelques jours, laissa « couler le deuil » dans la famille Morel puis, un soir, il tenta de nouveau le siège de la terre convoitée.

Jean-Baptiste Morel venait de se mettre à table avec Marguerite, pour le repas du soir, quand M. Larivé entra :

« Bonjour, voisin », fit-il, « comment ça va-t-il ? J’ai appris, tout dernièrement, votre grand malheur mais un voyage que j’ai dû faire à Montréal m’a empêché