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LE FRANÇAIS

l’on ne se gênait pas pour déclarer généralement que le Français ne serait jamais, comme on disait, un « canayen qui a du poil aux pattes » et que, avec sa mine plutôt « feluette », il s’accoutumerait difficilement aux rudes travaux de la terre canadienne. C’était donc tout comme si Jean-Baptiste Morel fut seul encore. Bref, on lui faucherait, cette année, en une seule journée, toute sa Prairie du Ruisseau !

Cette corvée qui eut lieu, le jeudi suivant, fit époque dans les annales du Rang Quatre de Ville-Marie-sur-Témiscamingue. Dès le petit matin de ce jour-là, l’on pût espérer que le temps serait beau. L’aube descendit des collines en un chemin de rayonnante verdure, et c’est avec son plus large sourire que le soleil vint regarder par-dessus les montagnes des Quinze pour voir si tous les gens de la corvée étaient prêts. Le soleil a vu d’abord, dans un coin du Rang Quatre de Ville-Marie, Jean-Baptiste Morel et son engagé qui préparaient la besogne de la journée. Tous deux étaient occupés à ranger dans la grand’charette à foin les outils et les instruments nécessaires au fauchage. Le patron est méticuleux et lent ; Léon est ingambe et vif. Il va et vient, pressé, de la porte de l’étable à celle de la grange grande ouverte. Au fond de l’étable. l’on entend un piétinement mou et sourd et des raclements de chaînes aux rebords des mangeoires. Dans la tasserie, un coq bat des ailes bruyamment, puis chante ; un autre lui répond d’une grange voisine qui est là-bas, enfouie dans les arbres et sur laquelle pèse encore de l’ombre. Au lointain du trécarré, une gé-