Aller au contenu

Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quitté les femmes, il quitta les livres, et le poudreux fardeau de sa tablette fut voilé d’un rideau de deuil.

À cette époque, moi aussi, j’avais secoué la chaîne des exigences du monde, et je vivais retiré loin de ses rumeurs ; c’est alors que je me liai avec Eugène. Sa physionomie m’était sympathique ainsi que son penchant natif au rêve, son originalité sans pareille et son esprit.

J’étais irrité, aigri : lui, morne et découragé. Tous deux, nous connaissions le jeu des passions ; fatigués de la vie, nous portions deux cœurs où toute flamme était éteinte. Sur le seuil de nos deux existences, nous étions déjà brouillés avec l’aveugle destinée et avec l’humanité.

Celui qui a vécu et qui a pensé doit, dans l’intime de son âme, mépriser les hommes. Celui qui a senti, sera toujours troublé par les visions des jours qui ne sont plus ! Il n’a plus d’illusions : le serpent du souvenir et du regret rongera son cœur… Toutes ces idées donnaient du charme à nos entretiens. D’abord, il est vrai, le langage d’Eugène m’avait jeté dans l’agitation, mais bientôt