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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/118

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IDYLLE SAPHIQUE

le temps !… C’est vous qu’elle aime ! C’est pour vous qu’elle me lâche… qu’elle me martyrise !

En rage, elle saisit Nhine aux poignets :

— Vous êtes belle !… Oui, c’est certain ! C’est connu ! Et je vous vois de près, vous êtes jolie, mignonne, gracile… mais moi ! moi aussi je suis belle ! Plus belle que vous peut-être ! Plus vivante, plus épanouie ! Vous, vous semblez frêle, inachevée…

Elle redressait fièrement sa tête, enflant les narines, scandant ses mots, sa chevelure se défit, secouée par un brusque mouvement, et flotta le long de ses reins tandis qu’une odeur fauve s’en dégageait.

— C’est vrai ! Vous êtes belle, vous êtes magnifiquement belle, ne put s’empêcher de lui crier Annhine… mais lâchez-moi ! Est-ce ma faute ?… Suis-je allée de moi-même me placer en travers de votre pernicieux amour… Moi, d’abord, ce n’est pas la même chose ! Lâchez-moi, je vous expliquerai…

— M’expliquer ! rugit l’autre… Ah ! vous n’avez rien à m’expliquer ! Pas la même chose ! Comme si je ne connaissais pas Flossie et ses douceurs et ses tendres perversités !… Elle vient et vous frôle, et vous leurre de troublantes paroles, elle vous entraîne, vous enlace, vous prend enfin et jusqu’au plus profond de l’être… Égarée en son immense souffrance, elle secouait violemment Annhine… Puis un jour elle disparaît, subitement appelée vers un autre caprice… et l’on reste là, anéantie, brisée, finie, en proie aux regrets éperdus, aux éternels désespoirs… Non !