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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/120

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IDYLLE SAPHIQUE

famille, regretta-t-elle ! Êtes-vous heureuse d’avoir une famille et que je vous envie, moi, qui suis seule au monde ! C’est triste, allez, d’être une enfant trouvée ! On n’a rien… pas un humble petit coin héréditaire où l’on retourne chercher asile… Rien !… que le caprice d’une vogue passagère, d’amours viles et mercenaires… c’est moi la malheureuse… Elle lui parla ainsi longuement d’elle-même, de ses dégoûts, de ses tristes lassitudes… Vous traversez une crise, relevez-vous et regardez plus bas…

En son intuition fine et délicate, Annhine trouvait les mots qui consolaient, qui allaient au cœur de la pauvre créature ainsi qu’un baume efficace… elle sentait que l’on commence à moins souffrir lorsqu’on aperçoit la souffrance des autres… nous sommes ainsi faits : les peines, les chagrins d’autrui adoucissent nos douleurs à nous et les amoindrissent…

Jane releva doucement son visage défait et Nhine lui essuya ses larmes.

— Pauvre petite !… C’est vrai, on dirait que vous portez un deuil, dans vos vêtements noirs ! Et puis, vous savez, c’est très mal tout ça, c’est défendu par la religion, par la morale, par la nature !

Étonnée de trouver tant de tact, tant de douceur chez une telle femme, Jane se calma… elle se redressa et se laissa conduire dans un fauteuil.

Une détente se produisit, son irritation était fondue… elle devenait simplement triste et mélancolique, observait Nhine, surprise de se trouver là, chez cette