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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/14

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IDYLLE SAPHIQUE

sentir ainsi qu’une autre femme ! Elle doit étouffer toute espèce de sentimentalité et jouer une comédie héroïque et continue, afin de consacrer sa vie, sa jeunesse surtout, aux rires, aux joies, à toutes les jouissances ! Tu as tort, Nhinon, regarde-moi : j’ai une âme de fer, inflexible, je ne veux de la Vie que le Beau et le plaisir, je ne suis pas d’humeur à supporter le moindre obstacle sur ma route… S’il n’y a qu’à vouloir pour cela, je veux énergiquement, je t’assure. Ne sois donc pas si sensible, Nhinette, lutte, tu dameras ainsi que moi… Rien ne peut facilement m’atteindre, et le jour où je ne serai plus la très forte, car tout arrive, eh bien, ce jour-là, je me briserai en miettes et tout sera fini…

La nerveuse répondit avec un sanglot dans la voix :

— Ah ! ma chère Tesse, que je t’envie ! Que tu es sage, toi, impérieusement intelligente ! que tu es heureuse ! Mais moi !…

— Je suis heureuse parce que je le veux, parce que le jour où je me suis faite courtisane, j’ai rayé de ma vie tout souvenir, toute attache, la moindre obligation, j’ai abdiqué ce qu’on appelle de la sensibilité d’âme. Pour moi il n’existe plus de devoirs ni aucune responsabilité qu’envers moi-même et mon désir ! Quelle indépendance, quelle enivrante liberté ! Annhine, songe un peu : plus de principes, plus de morale, plus de religion… Une courtisane peut tout faire sans voiles… sans grimaces ni hypocrisie, sans