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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/21

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IDYLLE SAPHIQUE

Toute cette petite scène se passait dans le coquet boudoir d’Annhine de Lys, un délicieux réduit en forme de rotonde, décor de neige et d’azur où les laqués blancs, les mièvreries Louis XV, les soies pâles, les tapis de fourrures, et les saxes et les sèvres et les ors verts et les cristaux légers et les fleurs formaient un cadre exquis à la diaphanéité blonde de l’adorable petite maîtresse de céans, célèbre déjà dans le demi-monde et dans le monde entier par ses excentricités et par la réclame à grand tapage qui se faisait autour de ses moindres gestes et caprices ! Annhine avait alors à peu près vingt-trois ans, mais elle en paraissait vingt. Longue et frêle, avec de grands yeux bleus, sombres et profonds, à la fois innocents et pervers, et une chevelure blonde, des boucles folles et radieusement claires qui encadraient son fin visage, elle semblait une vierge de missel sous la perruque de Chérubin et rappelait aussi parfois les châtelaines du moyen-âge, créature de rêve, idéalisée par une pâleur nacrée et par un ovale allongé qu’éclairait souvent l’enchantement de son rire perlé.

D’où sortait-elle ?…

Nul ne le savait au juste. Elle se plaisait à conter qu’elle avait été recueillie sur le bord d’une route d’Italie, par de braves gens, un soir tout blanc de givre et mortel de froid. Enfant de l’amour sans doute, abandonnée par une mère coupable, une grande dame probablement, — ses langes étaient