Aller au contenu

Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
IDYLLE SAPHIQUE

ceur de mon songe ! Je ne vois rien. Ainsi que l’autruche que chacun trouve idiote et que j’estime et que j’imite, je ne vois rien, donc je ne crains rien ! Je me fais l’effet d’une fleur, tout entière hors d’atteinte, puisque tu as couvert mes yeux et mes pensées.

« Plus d’inutiles efforts ! Que ma chair pourrisse, dégradée, ainsi que ma forme ! Ma vraie beauté est sauve, et bien loin désormais de la convoitise des hommes !

« Au fil de la plume et de la pensée, pour Toi, pour Moi… pour ce qui fût Nous !

Annhine.

— C’est un peu fou, cette lettre, murmura-t-elle en la relisant, mais Flossie me comprendra. Elle est la seule au monde qui soit en accord parfait d’idées avec moi, et c’est vrai tout cela ! En cette promenade d’hier j’ai vécu toutes ces choses.

Elle expédia la volumineuse enveloppe, puis s’ingénia à n’y plus penser. La réponse ne se fit pas attendre ; après cinq ou six jours elle arriva et dit ceci à Nhine qui trouva un prétexte quelconque pour s’isoler :

« Adorée, ta lettre est une lumière qui auréole mes espoirs. À quelle orgie des sens as-tu contraint ta pauvre âme pour qu’elle s’épanche ainsi vers moi, semblant si douloureusement écœurée des choses indignes que lui offre ta vie, pour qu’elle veuille quitter le présent pour revoler vers tout ce qui fût : vers Toi, vers Moi, vers Nous !… Son frôlement d’ailes m’est une douceur angoissée de