Aller au contenu

Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
304
IDYLLE SAPHIQUE

— Sans trêve, et veux-tu savoir ce que j’ai fait encore ?… Tiens, lis !

Elle lui tendit une lettre. Annhine secoua la tête et porta la main à ses yeux lents, enfoncés, obscurcis :

— Lire ?… Sais-tu bien, Floss, que depuis l’accident je n’ai pas pu lire une ligne, mais je vais essayer tout de même, donne…

Elle s’empara de la feuille et voulut commencer :

— « Le temps a… le temps a… le temps… » je ne peux pas !… je ne peux pas !… L’écriture danse et un vertige me prend… il faut y renoncer ! — et le papier roula sur ses genoux.

— Pauvre ange ! dit Flossie, ma martyre ! ma madone !… C’est ma lettre à Willy, à mon fiancé. Je vais te la lire, ça ne te fatiguera pas, au moins ?

— Non, lis, lis, ta voix me fait du bien.

Flossie s’assit à terre, tout près de Nhine et lui communiqua ceci :

« Le temps a radouci ma colère puisque je t’écris comme autrefois ; ta dernière lettre a su me toucher. Oui, je veux bien te reprendre, mon Will chéri, mon petit fiancé, mais avoue que tu méritais toute la semblance d’oubli de ces derniers mois, car tu n’avais pas su respecter ce que j’aime. Je ne vois pas trop bien comment tu voulais m’épargner une déception en me la donnant, et la scène finale en cette ignoble maison m’a écœurée à un point suprême. Non pas tant à cause du motif, je n’analyse jamais de telles nuances, mais parce que tu m’as montré