Aller au contenu

Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
305
IDYLLE SAPHIQUE

un manque absolu de sagacité. Il n’est pas permis à celui que j’ai choisi pour m’accompagner dans la vie d’être si inférieurement stupide, et ton plan — pour me dégoûter de ma Bien-Aimée — avait été d’une maladresse absolue. Ne me connaîtrais-tu donc pas encore et ne savais-tu pas que rien n’eût pu me détourner d’Annhine ni vaincre la séduction qu’exerce sur moi son attirante beauté. Je l’aimais, non-seulement pour ce que j’entrevoyais mais aussi pour tout ce que je rêvais, et quand il nous plaît d’habiller de nos plus folles chimères une faible mortelle, nous devons lui accorder une indulgence infinie. Tu le fais bien pour moi ! Pourquoi de mon côté ne serais-je pas capable d’un tel amour envers Nhine ?… Mais avec mon headlessness[1] habituelle, je m’égare de ce que j’ai à te dire. Allons droit au but, voici : que cela te semble possible ou non, j’aime, et pour la première fois, d’un amour constant et indestructible. Quand tu connaîtras Nhine tu me comprendras mieux — en attendant je te prie de ne pas blasphémer, je ne te permets pas même un sourire. Prends-moi au sérieux pour un instant et écoute-moi bien, car je dois te parler franchement d’une chose qui peut bouleverser notre vie à tous les trois. Ne pouvant épouser Annhine, je consens à t’épouser, toi, ainsi qu’il était convenu et nous partons de suite pour quelque lointaine contrée, emportant cette fragilité qui sera notre enfant. Mettant l’amour à part, il me semble plus digne d’une civilisation qui se flatte de pouvoir raisonner, de s’exercer à la conservation de ce qui existe déjà que de peupler la terre de nouveaux êtres dont on ne saura que faire ! En tous les cas, moi, qui ai

  1. Étourderie.