Page:Pourtalès - Deux Contes de fées pour les grandes personnes.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

milieu du front. Mais les trois frères de Gualtero se réjouirent de son départ et le plaisantèrent aigrement, car ils l’aimaient peu. Alors, le philosophe-errant quitta sa maison en se disant que sa résolution était utile, puisqu’elle agréait à trois personnes, et il dormit cette première nuit d’exil sur les quais du port. Puis il embarqua et on lui attribua une case de l’entrepont où il se trouva avec une foule d’émigrants des deux sexes, de toute couleur et de tout ramage. Mais sa force d’âme ne le quittait point, puisqu’il emportait, pour la soutenir, son précieux Manuel d’Épictète. S’il pensait parfois au geste inconsidéré de son père, ce n’était certes pas pour le blâmer ; un vrai philosophe ne hâte point ses jugements de la sorte ; il les réserve. Il ouvrait son livre et lisait : « Aussitôt qu’une idée pénible se présente à ton esprit, aie soin de lui dire : tu n’es qu’une idée, un simple effet de l’imagination… » Et Gualtero se disait : « Ma vague tristesse n’est donc qu’une idée, un simple effet de l’imagination », et il scrutait la pleine mer ouverte devant lui comme un avenir infini.