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Page:Prévost - Histoire d’une Grecque moderne (Flammarion, 1899), tome II.djvu/40

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j’avais eu avec lui, j’avais conçu que si sa passion se soutenait dans la même ardeur, elle me donnerait occasion de mettre son père à de nouvelles épreuves en feignant de vouloir le marier avec Théophé. Si le Condoidi n’avait pas perdu tout sentiment d’honneur et de religion avec ceux de la nature, il me paraissait impossible qu’il ne s’opposât point à ce mariage incestueux ; et dans un pays où les droits des pères ont fort peu d’étendue, je pouvais le réduire à cette seule objection pour l’empêcher.

Ainsi des incidents qui m’avaient causé tant de vives alarmes, n’eurent point de suites plus fâcheuses que la blessure de Synèse et le châtiment de quelques domestiques. Je me défis de Bema quelques jours après, avec cette circonstance humiliante pour elle, que je ne la fis vendre que la moitié du prix qu’elle m’avait coûté. C’est une sorte de punition qui ne convient qu’aux personnes riches, qui ont en même temps assez de bonté pour ne pas traiter avec trop de rigueur une esclave coupable ; mais pour peu que ces misérables aient du sentiment, ils en sont d’autant plus touchés, qu’en perdant un certain prix qu’ils ont à leurs propres yeux, ils se croient rabaissés, si l’on peut dire que cela soit possible, au-dessous même de leur triste condition. J’ai su néanmoins que s’étant recommandée au Sélictar, Bema avait obtenu de la reconnaissance de ce seigneur qu’il l’achetât pour son sérail.