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Page:Prévost - Histoire d’une Grecque moderne (Flammarion, 1899), tome II.djvu/54

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avait marqué d’abord beaucoup d’affection, mais qui l’avait négligée après avoir rassasié ses désirs, par le dégoût qu’une profonde tristesse et des larmes continuelles n’avaient pu manquer de lui inspirer. »

Les aventures de cette triste étrangère n’avaient causé que de la surprise à Théophé. Ce qui la pénétrait de compassion était de la voir dans un sort dont elle sentait l’infamie, et de lui avoir découvert tant de honte et de douleur, qu’elle n’avait pu distinguer ce qui l’affligeait le plus, la perte de son honneur ou celle de son amant. J’étais si accoutumé à ces sortes d’événements par les récits que j’entendais tous les jours, que je n’avais pas écouté le sien avec toutes les marques de pitié auxquelles elle s’était attendue.

« Vous ne paraissez pas sensible, me dit-elle, à ce que j’ai cru capable de vous toucher autant que moi. Vous ne trouvez donc pas que cette fille mérite l’intérêt que je prends à son malheur ?

— Je la trouve à plaindre, répondis-je, mais beaucoup moins que si elle ne s’était point attiré ses infortunes par une faute volontaire. Et c’est la différence, ajoutai-je, qu’il faut mettre entre les vôtres et les siennes. Peut-être êtes-vous l’unique exemple d’un malheur innocent dans le même genre, et la seule personne de votre sexe qui, après avoir été entraînée dans le précipice sans le connaître, ait changé d’inclination, au nom et à la première idée de la vertu. Et c’est ce