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Page:Prévost - Histoire d’une Grecque moderne (Flammarion, 1899), tome II.djvu/78

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L’occasion se présenta de lui parler à l’écart. Je ne pus me dispenser de lui marquer quelque chagrin de sa lettre ; mais il fut modéré ; et, lui témoignant plus d’admiration pour sa vertu que de regret de me voir rebuté, je ne parlai de sa résistance à mes soins que comme d’un motif pour me porter moi-même à combattre ma passion. Je fis tomber aussitôt mon discours sur le progrès de ses exercices, et, lui vantant quelques livres nouveaux que j’avais reçus de France, je lui promis de les lui envoyer dans l’après-midi. Sa joie s’exprima par des transports. Elle prit ma main qu’elle serra contre ses lèvres.

« Je retrouve donc mon père ! me dit-elle. Je retrouve ma fortune, mon bonheur, et tout ce que j’ai espéré en me livrant à sa généreuse amitié ! Ah ! quel sort plus heureux que le mien ? »

Cette effusion de sentiments me toucha jusqu’au fond de mon cœur. Je ne pus y résister, et, la quittant sans ajouter un seul mot, je me retirai dans mon cabinet, où je me livrai longtemps au trouble qui prenait l’ascendant de toutes mes réflexions.

Qu’elle est sincère ! Qu’elle est naïve ! Ô ! Dieux ! qu’elle est aimable ! Il m’échappa mille autres exclamations avant que de pouvoir mettre quelque ordre dans mes idées. Cependant c’était la vertu même qui avait paru s’exprimer par sa bouche. Je sacrifiai donc tant de mérite à une passion déréglée !